Destin

Publié le par solcarlus

Jeudi 11 Juin 2008

Lyon,

 

                Pas très loin du centre commercial de la Part-Dieu, se trouve un petit cabinet de notaires. C’est ici que Franck Mapin, 29 ans, travaille depuis maintenant deux ans en tant que clerc. Ses journées sont organisées à la minute près.

 

                Son réveil sonne tous les matins à 6h30. A 6h35 il prend une douche brulante. Peu importe la saison, seule la chaleur de l’eau qui coule sur son corps lui permet d’émerger. A 7h, il s’installe dans sa petite cuisine pour boire son café, manger ses deux tartines de beurre et un avaler un verre de jus de pamplemousse, tout en regardant des clips musicaux. A 7h30, il enfile l’un de ses trois complets noirs Haggar, lasse ses chaussures vernies et vérifie que sa mallette contient toujours les documents dont il a besoin pour son travail. A 7h45, il quitte son petit appartement qui se situe dans le vieux Lyon. Il lui faut ensuite une demi-heure pour traverser la ville en transport en commun et se rendre sur son lieu de travail. C’est aux alentours de 8h15 qu’il arrive dans le quartier de la Part-Dieu. Et, chaque jour, il profite du quart d’heure qu’il a pour boire un deuxième café dans le bar qui se trouve en face de son cabinet. Il faut préciser que la serveuse est plutôt mignonne. Mais il sait qu’il n’aura jamais le courage de lui parler, si ce n’est pour commander un café.

                A 8h30, Franck pénètre dans son bureau, allume son ordinateur et travail jusqu’à midi. Bien que cela fasse deux ans qu’il travaille dans ce cabinet, il préfère manger seul. On pourrait le décrire comme quelqu’un de réservé. Pourtant, du haut de son mètre quatre-vingt quinze il en impose. Sa mâchoire carrée, ses yeux verts profonds et sa tignasse noire ramenée en arrière font que généralement, les filles se retournent sur son passage. Mais du fait de sa grande timidité et de son manque d’assurance en public, il reste souvent seul, à l’écart des gens.

                Il reprend le travail à 13h30 jusqu’à 17h. Après sa journée, il aime bien marché dans les rues de Lyon. Alors, il rentre chez lui à pied, en passant par les petites rues et les traboules typiquement lyonnais. Quand il rentre dans son petit ‘’deux pièces’’, il est 18h30. Il allume la télé, se prépare un petit plateau repas qu’il mange en regardant les informations. Une fois la météo passée, il éteint sa lucarne, se brosse les dents, se met en pyjama et se glisse dans ses draps. Après avoir lu un chapitre de son livre, il éteint la lumière et s’endort.

 

                Comme on peut le voir, la vie de Franck Mapin n’a rien de trépidante. Mais tout allait changer, en ce jour du 11 Juin 2008.

 

                Comme tous les autres matins, il se lève à 6h30, prend sa douche, son petit déjeuner et quitte son chez soi à 7h45. Il arrive au cabinet à l’heure habituelle et profite du temps qui lui reste pour boire son café. Assis derrière le comptoir, Franck observe la serveuse. Petite brune au visage angélique, toujours le sourire aux lèvres elle est tout à fait le type de Franck. Mais ce qu’il préfère chez elle ce sont ses yeux. De magnifiques yeux verts. Mais comme d’habitude, il boit son café, paye sa commande et sort.

A l’heure du repas, il va manger dans le snack qui se trouve à deux pâtés de maisons de son cabinet. Là-bas, il commande un jambon beurre, de l’eau minérale et s’installe en terrasse. Il a pour habitude de manger à l’intérieur, mais le soleil d’aujourd’hui est bien trop tentant pour ne pas en profiter. Sur la table d’à côté, deux hommes d’affaires sont en train de discuter bruyamment. Franck, bien que malgré lui se met à écouter leur conversation.

                Le plus grand des deux, un blond à lunettes, explique qu’il est allé voir deux jours plus tôt, par curiosité, une voyante. Elle lui aurait dit qu’il allait rencontrer, dans les jours à venir, une femme.

_ Et ? demande son ami.

_ Bah, en sortant, je me suis dit que c’était des cracs. Mais le lendemain, c'est-à-dire hier, en arrivant au bureau on m’annonce que l’on m’a assigné une nouvelle secrétaire.

_ Et ?

_ Et bien ce soir je l’invite au restaurant. Il y a un très bon feeling entre elle et moi. J’arrive à me dire que la voyante ne disait pas que des conneries. C’était madame…. Madame… Eggnog ! Voilà c’est ça, Madame Eggnog….

 Franck ne peut en entendre d’avantage, car il est l’heure pour lui de retourner au travail.

 

A 17h30, il sort de son bureau et rentre chez lui en faisant sa ballade quotidienne. En arrivant près du quartier St Jean, une enseigne se trouvant dans une petite ruelle attire l’attention de Franck. ‘’ Ce n’est pas possible ‘’ se dit-il. Il s’approche de la devanture du magasin et, en lettre d’or, écrit sur la vitrine violette ‘’ Madame Eggnog, voyante ‘’. Intrigué, il pousse la porte et pénètre dans l’établissement accompagné d’un son de carillon. La pièce où il se trouve est confinée, des tableaux représentant la sainte Vierge ornent les murs, la fumée des bâtons d’encens passent au travers des chapelets accrochés aux poutres apparentes, pas de doutes possibles, il est bien dans un salon de voyance.

_ Bien que j’espérais que vous ne viendrez pas, je vous attendais monsieur Mapin, approchez.

La voix semble venir de derrière un rideau noir. Franck écarte ce-dernier et découvre, assise devant une petite table ronde, une vieille femme ridée, avec de longs cheveux blancs tenus par un bandeau rouge sang. D’un geste de la main, elle invite le jeune homme à s’asseoir sur le siège qui lui fait fasse. Franck hésite quelques secondes, et s’assoit enfin.

_ Comment saviez-vous que…

_ Je sais bien des choses mon jeune ami. Ce n’est pas pour rien que je suis voyante. Dit-elle le sourire aux lèvres. Mais toi ? Veux-tu réellement savoir ce que je sais ?

_ Ca dépend, combien ça va me coûter ?

_ Rien, je n’ai pas pour habitude de faire payer les condamnés.

_ Les conda… Que voulez-vous dire ? S’inquiète Franck.

_ Je suis aux regrets de vous annoncer que dans les prochaines 24 heures, vous allez mourir.

_ Quoi ? Mais, c’est impossible, vous dites n’importe quoi !

_ Hélas… En voulant sauver quelqu’un, vous périrez.

Comme pour lancer un décompte et accentuer le moment, les mots de la voyante sont accompagnés du carillon de l’église St Jean. Il est 18h. Et selon la voyante, il ne verra pas la fin de la semaine.

Après être sorti de chez madame Eggnog, Franck est rentré chez lui, hagard. En arrivant dans son appartement, Franck n’allume pas la télévision. Il s’assoit sur son click clac, et reste un moment à regarder dans le vide. Complètement déboussolé, il se déshabille et se met au lit sans manger.

 

Le lendemain matin, Franck laisse son réveil sonner pendant dix minutes avant de se lever. Il avale un café, et quitte son appartement. Il arrive une demi-heure plus tôt qu’à l’habitude à son cabinet. Comme les jours précédents, il entre dans le petit bar et commande son café. Au moment où il s’accoude au comptoir, un homme au comportement étrange vient s’asseoir à une table. Il porte une casquette et des lunettes de soleil. Il semble regarder tout autour de lui, comme pour s’assurer que personne ne viendra perturber sa matinée. La jolie serveuse sort de son bar et se dirige vers l’homme qui vient d’entrer pour prendre sa commande. Mais au moment où elle se trouve à sa portée, il se lève brusquement, l’attrape par le poignet et lui met un couteau sous la gorge. Franck lâche sa tasse qui vient s’écraser sur le sol. Le bruit de la céramique brisée attire l’attention du malfaiteur qui se retourne vers Franck.

_ Mets toi au sol ! Allonge-toi sur le sol ! Se met-il à crier.

Franck lève les mains pour lui faire comprendre qu’il ne tentera rien. Doucement, il se couche face contre terre, comme le font les deux autres clients du bar. Le malfrat, qui tient toujours la serveuse se dirige alors vers la caisse. En voulant enjamber Franck, le bandit trébuche sur le tabouret et fait tomber son couteau à côté de Franck. Tous les yeux se posent sur lui. Il lève la tête et peut voir le regard de la serveuse le supplier de prendre le couteau. Au moment où il décide d’agir, il réentend la voix de la voyante lui dire ‘’ C’est en voulant sauver quelqu’un que vous allez périr ‘’. Alors, il décide de fermer les yeux et de ne rien faire. Le bandit récupère son couteau force la serveuse à lui remettre le contenu de la caisse. Une fois cela fait, il jette la serveuse au sol, et s’enfuit en courant. Dans le bar, tout le monde peut reprendre ses esprits. Les clients se lèvent et se dirigent vers la serveuse s’assurer qu’elle va bien. Franck s’approche à son tour. La serveuse lui lance un regard noir, et d’un ton sec lui dit :

_ Depuis le temps que vous venez ici, je pensais que vous auriez réagis. Je croyais que je vous plaisais et ça aurait été un moyen que l’on fasse enfin connaissance. J’ai du me tromper… Quoi qu’il en soit, je ne veux plus vous revoir dans ce bar.

Franck, déçu et honteux, récupère ses affaires et sort de ce lieu où il n’est plus le bienvenue.

 

Après sa matinée de travail, il retourne au snack pour manger son jambon beurre. Assis à l’intérieur cette fois-ci, il ne lève pas le nez de son journal. Il a l’impression que tout le monde le fixe, comme pour le faire culpabiliser.

Une fois son sandwich fini, il se lève pour commander un café. Devant lui, un vieil homme est en train d’acheter un pain aux amandes. Une fois sa pâtisserie en main, le vieillard croque une large bouchée dedans. D’un coup, il devient tout rouge, et se met une main à la gorge. Il se retourne vers Franck et lui agrippe la manche.

_ Oh mon dieu, il est en train de s’étouffer ! Se met à crier l’employé du snack. Monsieur, faites quelque chose ! Rajoute-t-il en regardant Franck.

Mais une fois de plus, le jeune homme ne fait rien. Effrayé par les mots de la voyante, Franck recule d’un pas. Une jeune femme derrière lui le bouscule, attrape le vieil homme et grâce à la méthode d’Heimlich, lui fait recracher le morceau de pain qu’il avait dans la gorge. Pendant ce temps là, l’employé appelle le S.A.M.U. Une fois l’homme en sécurité, la jeune fille se retourne vers Franck, le regard accusateur, et sans rien dire, passe à côté de lui, le bousculant de l’épaule. Un relevant la tête, Franck se rend compte que toutes les personnes présentes le dévisagent. Il décide alors de quitter les lieux, et de retourner travailler.

 

A 17h30, Franck plie ses affaires, et rentre chez lui. Pour la première fois depuis qu’il a commencé en tant que clerc, il décide de rentrer en bus. Il arrive au quartier St Jean 25 minutes plus tard. Il lui reste encore 5 minutes avant l’échéance. Franck s’installe alors à la terrasse d’un café. Il commande un soda. Il se dit que s’il reste ici, sans se soucier des gens qui l’entourent, il fera mentir la voyante. D’ici cinq minutes, il se dira qu’il a été con de croire à ce genres d’inepties. En buvant sa boisson, il voit, de l’autre côté de la rue, une petite dame, les cheveux blancs tenus par un bandeau rouge sang. La voyante. Il finit d’une traite son verre, ramasse sa mallette, et se met à courir vers la vieille dame.

_ Madame Eggnog ! Madame Eggnog !

La voyante se retourne vers lui, le regard triste. Puis, comme pour le prévenir de quelque chose, elle tourne la tête sur le côté. Franck suit le mouvement des yeux, et voit avec effroi une voiture lui arriver droit dessus. Pas le temps de réagir, ni même de crier, la voiture percute le jeune homme et le projette trois mètres plus loin. Sa tête tape violement le sol. Tout est noir autour de lui. Sa vision revient légèrement mais tout reste flou. Il discerne une forme juste au-dessus de lui, c’est la voyante. A bout de force, Franck réussi malgré tout à prononcer cette phrase.

_ Je ne comprends pas… Toute la journée j’ai pensé à ce que vous m’avez dit… A deux reprises j’aurai pu sauver une personne… Mais par peur de mourir, je n’ai rien fait… Et je vais quand même mourir…

_ Oui, je le crains, répond la voyante. Car toute la journée vous n’avez pensé qu’à vous sauver vous-même. La vraie question que vous auriez dû vous poser est la suivante : ‘’ Si je dois partir, est-ce que je serai fier de ce que j’ai accompli ? ‘’

Sur ces mots, Franck ferme les yeux. Et au sixième carillon de l’église St Jean, pousse son dernier soupir.

 

 

 

Carl Sokoloff

Publié dans Histoires courtes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article